La vendange, une signature d’intention.

Les vendanges véhiculent un imaginaire champêtre, fait de travail joyeux en équipe, de soirées arrosées, de banquets festifs et de dur labeur au soleil. Pour nos amis vignerons, c’est une autre paire de manche tant l’organisation et le déroulement de la récolte demande de l’énergie, de la précision et l’aide de son Altesse Météo si aléatoire. Nous nous intéressons aux vendanges manuelles car elles seules permettent de trier les fruits et de faire du sur-mesure, ce que ne savent toujours pas proposer les machines à vendanger, réservées aux vins les plus simples.  

LA RÉCOMPENSE D’UNE ANNÉE DE TRAVAIL

La vendange est l’aboutissement d’une année de travail à la vigne. Tout ce qui a été entrepris durant le cycle végétatif sert à amener la totalité des parcelles à porter les raisins les plus beaux et les plus sains possibles. C’est avec un matériel végétal irréprochable que l’on fait les plus jolis vins. Plus les raisins sont sains, moins on a besoin de trier et plus les jus seront purs.

Bien vendanger implique d’avoir une connaissance approfondie de son terroir et de ses parcelles. Nos amis du nord de la vallée du Rhône ou de Bourgogne, aux domaines très morcelés, peuvent avoir des dizaines de parcelles à vendanger ayant des cépages, des typologies de sol et d’exposition très différentes, parfois séparées de plusieurs kilomètres. Il faut savoir organiser le ballet des vendangeurs en fonction des maturités des raisins en étant efficace et réactif. Ce qui explique que les vendanges puissent s’étirer sur plusieurs semaines à l’intérieur d’un même domaine.

Les vignerons les plus exigeants aiment avoir une équipe formée à leur idée. Trouver la bonne main d’œuvre qualifiée est un défi important, surtout lors de millésimes plus difficiles où la coupe doit être pratiquée avec bon sens.

En pratique, chacun est libre d’organiser le travail comme il le souhaite avec en point de mire l’entrée en cave de baies les plus intactes possibles jusqu’à la cuve ou au pressoir. La vendange de nuit à la fraiche, l’utilisation de petites cagettes plutôt de de grandes bennes afin d’éviter l’écrasement et un début d’oxydation, la mise au frais en chambre froide d’une vendange caniculaire, la mise en place d’une table de tri pour éliminer les indésirables sont autant d’astuces pour vinifier dans les meilleurs conditions la récolte de l’année.

TOUT SE JOUE DANS LES DERNIERS INSTANTS

Les dernières semaines, voire les dernières heures sont totalement stressantes puisqu’en quelques jours, la physionomie de la récolte peut totalement basculer. En bien ou en moins bien ! Une petite pluie après un épisode caniculaire peut sublimer un millésime tout comme un mois de septembre ensoleillé après un été pluvieux. En cela, aucun millésime ne se ressemble. La date de vendange d’une même parcelle varie en fonction des aléas climatiques de l’année et du travail effectué en viticulture. Et les écarts peuvent être de plusieurs semaine. On a vu des parcelles gagner 1 degré d’alcool potentiel en une seule journée de soleil. De quoi changer totalement la structure du vin final !

Le réchauffement climatique est une réalité à la vigne puisqu’il arrive régulièrement à de nombreuses régions viticoles de vendanger au mois d’août, ce qui n’arrivait que très rarement au XXème siècle. On peut estimer la date des vendanges grâce à la règle des 100 jours qui dit que les fruits atteignent leur plein potentiel 100 jours après la floraison. Puisqu’il fait de plus en plus doux au printemps, la fleur est précoce tout comme le juste point de maturité.

UNE GRANDE PART DE FEELING

C’est bien l’Homme, entendez la vigneronne ou le vigneron, qui décide du timing, du top départ, et par conséquence du sens qu’il souhaite donner à son vin.

Dans le format de domaine qui nous intéresse, soit une équipe à taille humaine qui souhaite produire des vins de la meilleure qualité possible, la technique et l’œnologie moderne viennent aider et conforter la prise de décision. Car aussi fou que cela puisse paraître, un raisin peut avoir une balance sucre/acidité idéale dans les analyses labo et ne pas avoir le bon « goût » quand on le croque sur pied. L’analyse sensorielle reste l’outil le plus sûr pour un vigneron (et cela est encore plus vrai avec de l’expérience) quant à connaitre la juste maturité du raisin. Il existe une maturité technique et une maturité aromatique et phénolique qui fait appel aux sens humains.

Une date de vendange n’est pas seulement la recherche du juste point d’équilibre entre le sucre et l’acidité des raisins. Il va découler du choix de ce moment une véritable photographie du millésime inscrite dans le style du vin qui se révèlera dans nos verres solaire, froid, structuré, fluide, confituré ou végétal…

Lâcher la meute des vendangeurs dans une parcelle va donc bien au-delà d’une nécessité ou d’un besoin, c’est avant tout la philosophie et la sensibilité d’un vigneron qui s’exprime en plein, sa signature d’intention.

Cela explique pourquoi deux parcelles voisines, propriétés de deux vignerons différents, peuvent ne pas être vendangées en même temps. Rentre en compte la gestion du risque. Plus on attend, plus on s’expose aux aléas climatiques. Certains vignerons sont plus téméraires et plus « joueurs ». Nous connaissons aux Canons de nombreux vignerons qui, malgré la maturité théorique des raisins après un été caniculaire vont refuser de vendanger fin août et prendre le risque d’attendre septembre, des nuits plus fraîches ou un peu d’eau pour gagner en équilibre, quitte à perdre une partie de la récolte si la météo ne joue pas en leur faveur.

Ce jeu de funambule est l’un des meilleurs vecteurs d’émotion. La critique et les guides pourront toujours mettre des notes superlatives ou négatives à un millésime, un grand vigneron saura toujours se surpasser et sublimer une année difficile. C’est en cela que l’aventure de la dégustation est magique, dans l’incertitude et la surprise que réservent l’ouverture d’une bouteille inconnue.